Dossier/Interviews : La pole et le handicap
- 25 avril 2022
- Posted by: Stéphanie Durand
- Category: Non classifié(e)
La pole pour tous : c’est une des valeur les plus fortes de notre communauté. En effet, on prône la pole pour tous les physiques, tous les genres, alors cela me tenait aussi à coeur de parler des personnes qui ont un handicap car elles sont beaucoup plus nombreuses que ce que l’on pense dans le milieu de la pole dance.
Un art, un sport et d’infinies possibilités
En France, on découvre d’abord Marie Dunot, malvoyante et souffrant d’une insuffisance rénale, elle participe au 1er championnat de France en 2008, et elle décroche une 6e place dans la même catégorie que les personnes totalement valides. Elle créé son école « Para pole dance » à Tours, d’abord destinée aux personnes handicapées puis continue à enchaîner les compétitions.
On découvre ensuite de nombreux athlètes handicapés, dans différents pays, malvoyants, malentendants, ayant un bras ou une jambe seulement, ou encore en chaise roulante. Ils ont une vraie force mentale et dépassent leurs limites.
Petit à petit ces athlètes sont reconnus à juste titre et les compétitions de pole dance commencent à ouvrir des catégories spéciales pour les personnes en situation de handicap.
Deb Roach, née avec un seul bras est l’une des pionnières en Australie, elle est 3 fois championne internationale dans sa catégorie (disabled division). Elle ne cesse d’étudier les mécanismes du corps humain et enseigne également le yoga, pilates, pole etc…
Elle commence la pole en 2008 on la surnomme « Debzillah » car elle est de nature à ne rien lâcher.
Elle obtient son 1er titre au championnat IPC à Hong Kong en 2012, et c’est là qu’elle commence à se faire remarquer dans le monde de la pole. Elle vit ensuite à Londres en 2014 et enseigne chez London Dance Academy. En janvier 2018 elle retourne en Australie à Sydney et enseigne chez « World of Pole Blacktown », qu’elle finit par racheter et renommer « Stargazer Pole studio ».
Deb aime la pole et le mouvement sous toutes ses formes, pour elle c’est un mélange parfait d’art et d’athlétisme. Elle tient à montrer que la pole est faite pour TOUS.
Je vous laisse découvrir son interview.
Comment à commencé ton histoire d’amour avec la pole dance ?
Je suis née différente des autres avec un seul bras, cela n’a pas toujours été facile, j’avais peu d’amis. Après mes 16 ans je suis devenue gothique et DJ et danseuse en boîte de nuit gothique.
Un jour j’ai vu une prestation pole dance de Suzy Q, c’était impressionnant, nous discutions en backstage et je lui ai dis « Mais tu as tellement de chance de pouvoir faire de la pole, j’aimerais essayer mais je ne pourrais jamais faire ça ! » et elle m’a dit « Mais non tu peux j’en suis sûre ! Passe lundi et on va voir ce que tu peux faire. » Je suis donc passé le lundi et j’ai essayé et j’ai adoré !
La pole, tout le monde trouve ça difficile, on est mise à nu complètement, on est face à notre vrai MOI mais j’adore car on se soutient les uns les autres. J’ai adoré cet environnement car je pouvais être entièrement moi-même sans être jugée.
J’ai donc commencé avec Suzy Q puis ensuite avec Jamilla Deville ! Je vais vous livrer un secret : j’ai arrêté la pole pendant deux ans car je n’arrivais pas à faire le Jamilla, je continuais mes cours de stretch etc… J’ai finalement pu réussir le Jamilla avec un bras (celui du bas) en 2014 !
Tu t’es déjà sentie découragée/frustrée de ne pas pouvoir faire toutes les figures que tu désires ?
C’est vrai qu’un cours traditionnel ne va pas forcément m’apporter grand chose, je préfère prendre des workshops pour avoir ensuite plein d’idées et pouvoir travailler les mouvements à ma façon.
Je me suis sentie parfois découragée, mais depuis ces dernières années, ma frustration ne vient pas du fait que je ne suis pas capable de faire les figures, elle vient du fait que le nombre de figures accessibles pour moi est plus restreint.
J’ai fais énormément de formations (coach sportif, professeur de gym, prof de pilates, yoga etc…), j’ai appris autant que possible pour pouvoir comprendre comment mon corps qui est différent pouvait réaliser les figures sur la pole.
Malheureusement, mon épaule commence à être HS, c’est très difficile pour mon corps la pole dance, j’accumule les blessures et c’est ça qui est frustrant, en même temps j’ai passé 14 ans à travailler avec un seul bras sur la barre donc c’est normal. J’essaie d’améliorer le déséquilibre à l’aide d’une prothèse, je m’entraîne avec durant mes séances de sport perso.
Que représente la pole pour toi ?
Je ne me sentais pas à ma place avant la pole dance, j’étais toujours « sur le côté » entrain de regarder, il n’y avait pas de place pour moi.
Quand j’ai commencé la pole je me suis enfin sentie à ma place. J’ai fais les championnats mondiaux 4 fois et j’ai gagné 3 fois, j’habitais Londres et j’ai dû rentrer en Australie car ma mère était malade mais je n’avais pas envie de quitter Londres.
En 2016 , j’ai finalement trouvé un studio de pole qui était différent, avec une application connectée, qui permet aux professeurs de cocher les mouvements que l’élève a réussi dans le niveau et qui permet de voir où en est l’élève dans son niveau. J’ai décidé de racheter le studio et d’améliorer l’app, j’adore ce modèle car en Australie traditionnellement, si on arrive pas à faire toutes les figures du niveau on ne peut pas passer au niveau au-dessus (j’avais dû refaire le level 2 trois fois et je n’en pouvais plus!!) mais avec cette app on peut avoir accès à plein d’autres figures, il n’y a aucune pression.
Comment ça se passe avec tes élèves pendant tes cours ? que pensent-ils de toi ?
Normalement tout va bien ! Mais j’adore rigoler sur la différence et faire des blagues! La priorité pour moi c’est la bonne ambiance dans le cours. Je dis toujours aux débutants « Vous avez deux bras et moi je n’en ai qu’un, alors tout ce que je fais avec un seul bras, vous le faites avec vos deux bras ok ? » et il y en a toujours un qui fait exactement comme moi avec un seul bras et là je lui dis « ok au moins je sais que toi tu es visuel ! », quand on est un bon élève on veut toujours faire exactement pareil que la prof !
Ce que j’adore, c’est que l’on me prend toujours au sérieux, on sait que je suis capable et on me respecte en tant que prof, on sait qui est la patronne.
Comment tu t’es sentie lors de tes premières démo/shows en public ?
J’étais danseuse burlesque avant la pole, je n’étais pas timide, ma première compète en 2010, à 27 ans, j’étais « topless », tout le monde avait deux bras mais c’est moi qui ai gagné ! C’était au strip club local.
J’ai toujours été assez à l’aise là-dessus, et à ceux qui me disaient que la pole c’est du strip, je leur ai prouvé le contraire !
Que voudrais-tu dire aux personnes qui ont un handicap et hésitent à se lancer ?
Je leur dis de ne pas hésiter à m’envoyer un message et on peut en parler ! Bien sûr il faut trouver le bon prof, j’ai écris une formation spéciale pour les professeurs qui désirent enseigner la pole aux personnes qui ont un handicap, pour savoir quelles questions poser etc…On peut la trouver sur Amazon « Pole translation », cette formation permet d’adapter les mouvements sur la pole selon le handicap, on peut travailler différents styles et même avec les personnes en chaise roulante il y a tellement de possibilités, j’ai des centaines d’heures de vidéos avec des examples!
Dans tous les cas, on apprend beaucoup que ce soit le professeur ou l’élève qui a un handicap. Il y a beaucoup de professeurs maintenant qui sont désireux de donner cours à des personnes qui ont besoin d’un enseignement différent et tant mieux.
Si tu as envie d’essayer n’aies pas peur de demander !
What’s next ?
J’aimerais avoir un deuxième studio et j’essaie aussi de faire un bébé, j’adore tout ce que je fais, mes élèves, mes étudiants, la vibe de mon studio « Stargazer », la façon dont on enseigne, la façon dont on traite les gens tous de la même manière sans jugement, pour moi tout ça est très important, très spécial.
Je viens aussi tout juste de devenir juge IPSF certifiée et je vais juger l’Australian pole sport championships le 26 juin et j’espère juger aussi le World pole Sport Championship.
Tant que mon corps me le permettra, je continuerai d’apprendre de nouveaux mouvements, j’ai toujours envie de monter sur scène et faire de la compétition !
Merci à Deb Roach pour avoir répondu à toutes mes questions !
Instagram : @debzillah
J’ai voulu ensuite aller me placer du côté “élève” pour pouvoir comprendre et connaître leurs ressentis pendant les cours. En effet en tant que professeur ce n’est pas toujours évident lorsque l’on est face à une personne en situation de handicap en cours, il est très important d’être à l’écoute, de savoir communiquer un maximum et de s’adapter à la personne.
Je suis donc allée à la rencontre de Stéphanie qui s’est découvert une passion pour la pole il y a maintenant quelques années et qui est sourde. J’ai eu l’occasion de l’avoir en tant qu’élève et je suis allée lui poser quelques questions.
Comment a commencé ton histoire d’amour avec la pole dance ?
J’ai fait pendant plusieurs années de la house dance. À l’époque je suivais les vidéos de Manuela Carneiro sur Youtube. Un jour, je suis tombée sur une vidéo d’elle faisant de la pole dance et j’étais étonnée puis tout de suite, j’ai été en admiration. Le côté force, sexy, souplesse et grâce me plaisait énormément. Deux ans plus tard, j’ai pris mon premier cours et j’ai immédiatement eu un gros coup de coeur pour cette discipline.
Comment tu t’es sentie lors de tes premiers cours, est-ce que ça a été difficile de t’adapter ?
Mon premier cours s’était mal passé. J’étais un peu perdue et malheureusement je suis tombée sur un prof peu aimable qui m’a clairement dit que “ce n’est pas possible” quand je lui avait demandé de répéter, de faire un peu plus attention. Je n’ai pas voulu rester sur cette expérience amère, donc j’ai retenté en prenant des cours particuliers.
La directrice du studio ne voulait pas sous prétexte qu’à cause de ma surdité ce ne serait pas possible, mais je suis tombée sur une professeure adorable. Les cours se sont passés sans problèmes, on a réussi à s’adapter mutuellement. Après m’être sentie assez à l’aise, je suis retournée prendre des cours collectifs. C’est très différent et déroutant au départ mais la pédagogie et gentillesse des professeurs m’ont très vite mise à l’aise.
As-tu déjà ressentie de la frustration/du découragement du fait de ne pas pouvoir tout entendre/comprendre ?
Oui, assez souvent. Frustrée de ne pas comprendre les explications du prof, de ne pas saisir les conversations. Il m’arrive parfois de me sentir un peu à l’écart, un peu délaissée de ne pas avoir assez d’attention. La frustration de ne pas pouvoir communiquer clairement avec le/la prof, mais ça, elle doit aussi venir de l’autre côté. J’imagine que le/la prof peut être frustré.e de ne pas pouvoir transmettre toutes ses explications.
Que représente la pole pour toi ?
La pole m’a littéralement sauvée ! Je lui dois beaucoup. C’est mon échappatoire, je me sens légère quand je suis sur la barre. Elle m’apporte de la confiance, de la force.
Que voudrais-tu dire aux professeurs qui dispensent les cours et qui se retrouvent face à une personne qui a un handicap, pour qu’ils puissent mieux s’adapter? Est-ce qu’il y a des choses à améliorer ?
(Je réponds à propos de la surdité)
Chaque personne est différente, fonctionne et communique différemment. Il faut lui demander par quel moyen elle souhaite communiquer (tous les sourd.e.s ne lisent pas sur les lèvres) et ne pas imposer le vôtre.
Parfois, si besoin, revoir la pédagogie, elle est certes adaptée pour des personnes entendantes mais ne le sera pas forcément pour une personne sourde. Le contact visuel est important (quand on a la tête en bas c’est compliqué de comprendre lol). Adopter un body language +++ mais apprendre quelques signes de bases c’est vraiment un plus, ça fait toujours plaisir et surtout c’est inclusif. Ça fait vraiment toute la différence.
Stéphanie donne aussi des cours de pole dance LSF (langue des signes), n’hésitez pas à la contacter.
Instagram : @stephprumaro
Le mot de la fin…
Il reste encore beaucoup de choses à faire au niveau de l’enseignement en effet. Peut-être qu’une formation en français qui permettrait de mieux s’adapter serait nécessaire, alors si cela peut vous donner des idées, n’hésitez pas !
Néanmoins, le monde de la pole ne cesse d’évoluer de jour en jour avec toujours plus de nouvelles idées, nouveaux concepts, de belles valeurs et l’envie commune qu’à terme tout le monde puisse y trouver bonheur et épanouissement.
Stéphanie.